Les processus se ramènent à la perte d'énergie dans la pile; ils ne concernent pas le fait que le mouvement électrique a pour origine de l'énergie chimique transformée, mais seulement la quantité de l'énergie transformée.
Les électriciens ont consacré un temps et une peine infinis à composer les piles les plus diverses et à mesurer leur « force électromotrice ». Les matériaux expérimentaux accumulés de ce fait contiennent beaucoup de choses précieuses, mais certainement plus encore de choses sans valeur. Quelle valeur scientifique ont par exemple des expériences scientifiques dans lesquelles on utilise pour électrolyte l' « eau », qui comme F. Kohlrausch l'a maintenant démontré, est le plus mauvais conducteur, donc aussi le plus mauvais électrolyte [1], dans lesquelles par conséquent ce n'est pas l'eau qui permet le processus, mais ses impuretés inconnues ? Et pourtant, plus de la moitié des expériences de Fechner reposent sur une telle utilisation de l'eau, même son experimentum crucis [2], à l'aide de laquelle il voulait établir de manière inébranlable la théorie du contact sur les ruines de la théorie chimique. Comme cela apparaît déjà ici, dans toutes les expériences en général, à l'exception d'un petit nombre, on ne prend pour ainsi dire pas en considération les processus chimiques dans la pile, qui sont cependant la source de la force dite électromotrice. Or il y a toute une série de piles dont la formule chimique ne permet absolument pas de tirer une conclusion sûre des conversions chimiques qui s'opèrent en elles après fermeture du circuit. Au contraire, comme le dit Wiedemann (1,797), il est
indéniable que nous sommes encore loin de pouvoir acquérir une vue complète dans tous les cas des attractions chimiques se produisant dans la pile.
Par conséquent, du point de vue de leur aspect chimique, qui prend de plus en plus d'importance, toutes les expériences de ce genre seront sans valeur, tant qu'elles ne seront pas répétées dans des conditions 'permettant le contrôle de ces processus.
Dans ces expériences, ce n'est que d'une façon tout à fait exceptionnelle qu'il est question de tenir compte des conversions d'énergie qui s'accomplissent dans la pile. Beaucoup ont été faites avant que la loi de l'équivalence du mouvement ait été reconnue scientifiquement, mais elles continuent, par habitude, à traîner d'un manuel à l'autre, sans être contrôlées et sans être terminées. Si l'on a dit : l'électricité n'a pas d'inertie (ce qui a à peu près autant de sens que de dire : la vitesse n'a pas de poids spécifique), on ne peut nullement affirmer la même chose de la théorie de l'électricité.
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Jusqu'ici nous avons considéré l'élément galvanique comme un dispositif dans lequel, grâce aux rapports de contact établis, de l'énergie chimique est, d'une manière encore inconnue, libérée et convertie en électricité. De même, nous avons présenté la cuve électrolytique comme un appareil dans lequel intervient le processus inverse, où du mouvement électrique est converti en énergie chimique et consommé comme tel. Nous avons dû, à cette occasion, mettre au premier plan l'aspect chimique du processus, aspect si négligé des électriciens; c'était en effet le seul moyen de se débarrasser du fatras des idées héritées par tradition de la vieille théorie du contact et de la théorie des deux fluides électriques. Ceci fait, il s'agit maintenant d'étudier la question de savoir si le processus chimique dans la pile se déroule dans les mêmes conditions qu'en dehors d'elle ou s'il se présente à cette occasion des phénomènes particuliers qui dépendent de l'excitation électrique.
Dans toute science, les idées fausses sont, en fin de compte, les erreurs d'observation mises à part, des représentations erronées de faits exacts. Ceux-ci demeurent, même lorsque nous avons démontré la fausseté des premières. Une fois rejetée la vieille théorie du contact, les faits établis auxquels elle devait servir d'explication, subsistent encore. Considérons ces faits, et en même temps, l'aspect proprement électrique des processus dans la pile.
Il est indiscutable qu'au contact de corps hétérogènes, avec ou sans changements chimiques, il se produit une excitation électrique que l'on peut prouver à l'aide d'un électroscope ou d'un galvanomètre. Comme nous l'avons déjà vu au début, la source d'énergie de ces phénomènes de mouvement, extrêmement minimes en eux-mêmes, est, dans les cas singuliers, difficile à établir ; bref, on admet généralement l'existence d'une telle source extérieure.
Kohlrausch a publié en 1850-1853 une série d'expériences dans lesquelles il assemble deux par deux les différents éléments constituants d'une pile, pour déterminer les tensions d'électricité statique qui se manifestent dans chaque cas ; la force électromotrice de l'élément devrait, dans sa pensée, se composer de la somme algébrique de ces tensions. En prenant pour base la tension Zn/Cu = 100, il calcule l'intensité relative de la pile de Daniell et de la pile de Grove de la façon suivante.
Pour l'élément Daniell :
Zn / Cu + amalg. Zn / SO4H2 + Cu / SO4Cu = 100 + 149 - 21 = 228
Pour l'élément Grove :
Zn / Pt + amalg. Zn / SO4H2 + Pt / NO3H = 107 + 149 + 149 = 405 ce qui correspond à peu de choses près à la mesure directe de l'intensité du courant de ces éléments. Mais ces résultats ne sont nullement sûrs. Premièrement, Wiedemann attire lui-même l'attention sur le fait que Kohlrausch ne donne que le résultat final, mais « malheureusement ne donne pas de données chiffrées pour les résultats des expériences isolées ». [I, p. 104.] Et, deuxièmement, Wiedemann reconnaît lui-même à plusieurs reprises que toutes les expériences tendant à déterminer quantitativement les excitations électriques dans le cas du contact des métaux, et plus encore dans celui du contact du métal et du liquide, sont pour le moins très peu sûres à cause des nombreuses sources inévitables d'erreur. Si, malgré tout, il opère plus d'une fois avec les chiffres de Kohlrausch, nous ferons mieux de ne pas le suivre dans cette voie, d'autant plus qu'il existe une autre possibilité de détermination, contre laquelle on ne peut pas faire ces objections.
Si l'on immerge les deux plaques excitatrices d'une pile dans le liquide, et qu'on les met en circuit avec les deux sorties d'un galvanomètre, selon Wiedemann
la déviation initiale de son aiguille aimantée, avant que des transformations chimiques aient modifié l'intensité du courant, donne la mesure de la somme des forces électromotrices dans le circuit fermé. [I, p. 62.]
De la sorte, des piles d'intensité différentes donnent des déviations initiales différentes, et la grandeur de ces déviations initiales est proportionnelle à l'intensité du courant des piles correspondantes.
Il pourrait sembler que nous ayons ici sous les d'une manière palpable la « force de séparation électrique », la « force de contact », provoquant un mouvement indépendamment de toute action chimique. C'est effectivement ce que pense toute la théorie du contact. Et, en fait, nous trouvons ici un rapport entre excitation électrique et action chimique que nous n'avons pas encore étudié dans ce qui précède. Pour passer à ce rapport, nous allons examiner d'un peu plus près la loi dite de la force électromotrice; nous y découvrirons qu'ici également les notions traditionnelles de contact, non seulement n'offrent pas d'explication, mais que derechef elles barrent directement la route à l'explication.
Si, dans un élément galvanique quelconque, composé de deux métaux et d'un liquide, par exemple, zinc, acide chlorhydrique dilué, cuivre, nous plaçons un troisième métal, par exemple une plaque de platine, sans la mettre en liaison avec le circuit externe par un fil conducteur, la déviation initiale du galvanomètre est exactement la même que sans la plaque de platine. Ainsi cette dernière n'influence pas l'excitation électrique. Mais dans la langue des défenseurs de la force électromotrice, la chose ne saurait être dite aussi simplement. Voici ce qu'on lit:
La somme des forces électromotrices du zinc et du platine et du platine et du cuivre a pris la place de la force électromotrice du zinc et du cuivre dans le liquide. Comme le chemin des électricités n'est pas sensiblement modifié par l'introduction de la plaque de platine, nous pouvons conclure de l'identité des indications du galvanomètre dans l'un et l'autre cas, que la force électromotrice du cuivre et du zinc dans le liquide est égale à celle du zinc et du platine + celle du platine et du cuivre dans le même liquide. Ceci correspondrait à la théorie établie par Volta de l'excitation électrique entre les métaux eux-mêmes. On exprime le résultat, valable pour tous les liquides ou métaux quelconques, en disant : lors de leur excitation électromotrice par des liquides, les métaux suivent la loi de la série voltaïque. On désigne aussi cette loi sous le nom de loi de la force électromotrice. (WIEDEMANN, I, 62.)
Lorsqu'on dit que, dans cette combinaison, le platine n'agit absolument pas en excitateur électrique, on exprime le fait tout simple. Lorsqu'on dit qu'il a tout de même le rôle d'un excitateur électrique, mais agissant avec une intensité égale dans deux directions opposées, de sorte que l'effet s'abolit, on transforme le fait en une hypothèse, simplement pour faire les honneurs à la « force électromotrice ». Dans les deux cas, le platine joue le rôle de figurant.
Au moment de la première déviation de l'aiguille du galvanomètre, le circuit n'est pas encore fermé. Tant que l'acide ne s'est pas décomposé, il n'est pas conducteur; il ne peut être conducteur que par le moyen des ions. Si le troisième métal n'a pas d'action sur la première déviation, cela vient simplement de ce qu'il est encore isolé.
Or comment se comporte le troisième métal après l'établissement du courant continu et pendant qu'il dure ?
Dans la série voltaïque des métaux dans !a plupart des liquides, le zinc occupe, après les métaux alcalins, à peu près l'extrémité positive, le platine l'extrémité négative et lé cuivre est entre les deux. Par conséquent si, comme plus haut, on place le platine entre le cuivre et le zinc, il est négatif à l'égard de 1 un et de l'autre. Si, somme toute, le platine avait une action, le courant dans le liquide devrait aller du zinc et du cuivre vers le platine, donc quitter les deux électrodes pour gagner le platine isolé ; ce qui est une contradictio in adjecto [3]. La condition fondamentale de l'efficacité de plusieurs métaux dans la pile consiste précisément en ce que, à l'extérieur, ils soient réunis entre eux en circuit fermé. Un métal non relié, en surnombre, dans la pile fait figure de non-conducteur; il ne peut ni former, ni laisser passer des ions, et sans ions nous ne connaissons pas de conduction dans les électrolytes. Il n'est donc pas seulement figurant, il est même un obstacle qui oblige les ions à le contourner.
Il en va de même si nous relions le zinc et le platine et que nous plaçons au milieu le cuivre non relié: celui-ci, s'il avait somme toute une action, engendrerait ici un courant du zinc au cuivre et un second du cuivre au platine, il devrait donc jouer le rôle d'une sorte d'électrode intermédiaire et dégager sur sa face tournée vers le zinc de l'hydrogène gazeux, ce qui est derechef impossible.
Si nous nous débarrassons de la manière traditionnelle de s'exprimer des partisans de la force électromotrice, le cas se présente d'une manière extrêmement simple. La pile galvanique, avons-nous vu, est un dispositif dans lequel de l'énergie chimique est libérée et transformée en électricité. Elle se compose en règle générale d'un ou plusieurs liquides, de deux métaux jouant le rôle d'électrodes qui doivent être reliés entre eux hors du liquide par un conducteur. Cela suffit pour constituer l'appareil. Tout ce que nous pouvons encore plonger d'autre, sans le relier, dans le liquide excitateur, que ce soit du verre, du métal, de la résine ou quoi que ce soit encore, ne peut participer au processus chimico-électrique s'accomplissant dans la pile, à la formation du courant, tant qu'il ne modifie pas chimiquement le liquide; il peut tout au plus gêner le processus. Quelle que puisse être la capacité d'excitation électrique d'un troisième métal immergé par rapport au liquide ou à l'une des électrodes de la pile ou encore aux deux, elle ne peut avoir d'action tant que ce métal n'est pas relié au circuit à l'extérieur du liquide.
En conséquence, non seulement la déduction faite plus haut par Wiedemann de la loi dite de la force électromotrice est fausse, mais même le sens qu'il donne à cette loi est faux. On ne peut pas parler d'une activité électromotrice du métal non relié qui se neutraliserait, car on a privé d'avance cette activité de la seule condition à laquelle elle fourrait devenir efficace ; il n'est pas non plus possible de déduire a loi dite de la force électromotrice d'un fait qui est hors de son domaine.
Le vieux Poggendorff a publié en 1845 une série d'expériences dans lesquelles il mesurait la force électromotrice des piles les plus diverses, c'est-à-dire la quantité d'électricité fournie par chacune dans l'unité de temps. Parmi ces expériences, les 27 premières ont une valeur particulière; dans chacune de celles-ci trois métaux déterminés, plongés dans le même liquide excitateur, sont réunis successivement deux à deux pour former trois piles différentes et celles-ci sont étudiées et comparées au point de vue de la quantité d'électricité fournie. En bon partisan de l'électricité de contact, Poggendorff plaçait aussi chaque fois dans la pile le troisième métal non relié et il a eu ainsi la satisfaction de se persuader que dans les 81 piles ce « troisième dans l'alliance » [4] restait un pur figurant. Cependant la signification de ces expériences ne réside nullement en cela, mais bien plutôt dans la vérification et l'établissement du sens exact de la loi dite de la force électromotrice.
Tenons-nous en à la série des piles ci-dessus, où, dans de l'acide chlorhydrique dilué, du zinc, du cuivre et du platine sont reliés entre eux deux à deux dans chaque cas. En prenant pour base la quantité d'électricité fournie par la pile de Daniell = 100, Poggendorff trouva ici les résultats suivants :
Zinc-cuivre = 78,8
Cuivre-platine = 74,3
Total 153,1
Zinc-platine = 153,7
[1] Une colonne d'1 mm. de longueur de l'eau la plus pure produite par Kohlrausch offrirait la même résistance qu'un conducteur de cuivre de même diamètre et à peu près de la longueur de l'orbite de la lune. NAUMANN, Chimie générale, p. 179 (Note d'Engels.)
[2] Son expérience cruciale. (N.R.)
[3] Contradiction dans la définition. (N.R.)
[4] L'expression « der dritte im Bunde » est tirée de la ballade de Schiller: Die Bürgschaft, str. 20, où elle est prononcée par le tyran Denys qui demande à deux fidèles anus de l'accepter dans leur union. (O.G.I.Z., Obs.)