La théorie de la coévolution gène-culture part de l’hypothèse que la culture est
une adaptation, donc qu’il existe des mécanismes psychologiques spécifiques qui ont
évolué
pour transmettre la culture. Bien sûr, ces mécanismes n’ont pas de raison d’être
identiques à ceux que l’on observe en biologie. Au contraire, il est fort probable qu’ils
soient nouveaux et qu’en conséquence, l’évolution de la culture suive une dynamique
différente de l’évolution génétique. Selon cette hypothèse, la sélection naturelle aurait
fait apparaître de nouvelles forces évolutionnaires
36
Pour Boyd et Richerson, la culture est le résultat de mécanismes d’apprentissage
originaux qui ont évolué pour permettre à l’homme de s’accommoder à des
environnements variables temporellement et spatialement (Boyd & Richerson, 1983,
1985; Richerson & Boyd, 2005). Dès leurs premiers articles, Boyd et Richerson
cherchent à caractériser les mécanismes psychologiques qui font que la culture est un
système adaptatif (par exemple Boyd & Richerson, 1983). Dans leur dernier livre
Not
by genes alone
(2005), ils présentent quatre ensembles de forces évolutionnaires qui ont
pu évoluer face à quatre pressions de sélection différentes
, propres au domaine culturel, qui,
au même titre que la mutation, la sélection, la migration et la dérive en biologie, sont
responsables de l’évolution culturelle.
37
Pour Cavalli-Sforza et Feldman, ce sont les modes de transmission de la culture
qui sont originaux (Cavalli-Sforza & Feldman, 1981). Par exemple, il existe selon eux
un mode de transmission de plusieurs vers un, qui correspond au fait que plusieurs
: la variation guidée (
guided
variation
), les biais de contenu (content based bias), les biais fréquence-dépendants
(
frequency based bias) et les biais liés aux modèles (model based bias).
36 A la différence des modes de transmission, les forces évolutionnaires modifient la composition des
populations. En l’absence de force évolutionnaires, quel que soit le mode de reproduction par lequel se
transmettent les éléments (génétiques ou culturels), leur distribution reste inchangée. En présence de
forces évolutionnaires, la manière dont la distribution des éléments change au cours du temps dépend du
mode de transmission.
37 Je reprends ici les dénominations de leur livre le plus récent, mais les effets de toutes ces forces ont été
analysés dans leur livre de 1985 et l’essen
individus interviennent dans la transmission d’un élément culturel vers une seule
personne donnée, une forme de pression de groupe. Ces modes de transmission reposent
sur la description de la manière dont circulent les éléments culturels entre les individus.
Les forces évolutionnaires de la culture qui ont été proposées peuvent être
classées en trois catégories (Sperber & Claidière, 2008) : les forces aléatoires, les forces
dépendantes du contenu et les forces dépendantes de la source. Les forces aléatoires
sont responsables du phénomène de dérive des éléments culturels et agissent, avec plus
ou moins d’importance, sur tous les éléments culturels. Les forces dépendantes du
contenu sont spécifiques de certains éléments culturels. L’évolution des comportements,
comme la conduite, diffère sensiblement de celle des savoirs, comme le code de la route
par exemple. Au contraire, les forces dépendantes de la source sont indépendantes des
éléments transmis, elles ne sont liées qu’à la source de la transmission. Les éléments
transmis par une personne populaire par exemple, évoluent de manière originale en
vertu du fait que c’est une personne particulière qui les transmet.
Il existe un déséquilibre important dans l’étude de ces forces. Les forces
dépendantes du contenu et les forces aléatoires n’ont pratiquement pas été étudiées,
tandis que les forces dépendantes de la source ont attiré toute l’attention. Ce
déséquilibre s’explique en partie par le fait que les forces aléatoires et celles
dépendantes du contenu ne reposent pas sur des mécanismes spécifiques à l’évolution
de la culture, tandis que les forces dépendantes de la source le sont nécessairement.
Pour donner une vision d’ensemble du fonctionnement de la théorie de la coévolution
gène-culture je présenterai d’abord les forces aléatoires et les forces dépendantes du
contenu (les biais de variation guidée et de contenu). Ensuite, et comme les forces
dépendantes de la source constituent la proposition la plus importante de la théorie de la
coévolution gène-culture, je présenterai séparément l’étude des modes de transmission,
du biais de conformité (un biais dépendant de la fréquence) et du biais de prestige (un
biais dépendant du modèle).